GLOBAL EVENTS FOR FASHION PROFESSIONALS​

GLOBAL EVENTS FOR FASHION PROFESSIONALS​

Chapitre 3, je relocalise, tu relocalises, nous relocalisons

Relocaliser, oui, mais comment ? Quels sont les freins ? Quelles sont les opportunités ? Comment recréer les conditions favorables à une fabrication locale ? Est-il possible de conjuguer relocalisation et compétitivité ?

Lucas Delattre reçoit Paul Boyer, Fondateur et Directeur Général LINportant, Yves Jego, président de Pro France / Origine France Garantie et Rodolphe Meersschaert, Directeur de production agnès b.

Entre le volontarisme et la réalité du marché, comment fait-on pour faire exister le made in France ?

Yves Jego nous explique que depuis 40 / 50 ans, les process de production sont devenus mondiaux. Ainsi, les entreprises produisent moins cher, ce qui leur garantit des marges élevées. Un mouvement qui a atteint son paroxysme cette dernière décennie. La mondialisation est allée au bout d’une logique d’incohérence.

Peut-on pour autant vivre en autarcie ? Non. Mais il faut se battre pour qu’une partie de l’activité de production revienne “à un bon sens paysan” et que l’on produise localement des choses que l’on consomme localement.

C’est une histoire de dosage. Il faut retrouver des équilibres. L’acheteur doit se responsabiliser dans cette libre circulation des produits. Mais pour cela, il faut une indication d’origine CLAIRE sur les produits.

“Est-ce que le made in France est plus cher ? La question à se poser : est-ce que le made in ailleurs n’est pas trop cher ?”

La crise du Covid-19 a montré que lorsqu’on a trop délocalisé, on s’est fragilisé. Mais est-on capable de bâtir un mode plus cohérent, plus équilibré et moins fou dans ses process de production et de distribution ?

“A ces gens qui pensent qu’on n’avait pas le choix, qu’il n’y avait pas d’autres solutions, que c’est le mouvement de l’histoire, qu’il faut aller chercher la production à des coûts moindres, à l’autre bout du monde. Ils se trompent.”

“Dans les années 70 le commerçant français devait indiquer son prix et sa marge ! Une obligation de transparence !”

Et nous entrons de nouveau dans l’ère de la transparence, de la traçabilité. La nouvelle génération n’acceptera plus ce manque. Les questions éthiques et environnementales sont en train de devenir un vrai sujet.

Tout est une question d’avantage comparatif ! Par exemple, la France est le 1er producteur de lin.

Paul Boyer le confirme, 120 milles tonnes de fibres de lin sont issues des champs français, notamment en Normandie. Même si le lin reste petit par rapport au coton (20 millions de tonnes) ou au polyester (70 millions de tonnes).

Une filière française du champ au vêtement, mais une filière relativement longue : le teillage, le peignage, la filature, le tissage / le tricotage, l’ennoblissement, la coupe, la confection.

“Et au milieu de cette filière on a un trou”. 90% de la matière première brute part de France en Asie (surtout en Chine). Alors, “on a des produits qui font le tour de la terre” : un pays = une étape.

“Ce n’est pas une histoire moderne dans le textile, regardez la route de la soie !”

Mais sur le lin, on maitrise les 2 bouts de la filière, donc on a une opportunité de relocaliser.

L’histoire de la construction du vêtement est importante aujourd’hui, on a une fierté de porter un vêtement quand on sait d’où il vient, il véhicule nos propres valeurs. Les consommateurs sont prêts à creuser, ils veulent savoir, comprendre et dans le détail des étapes, des labels… Mais ce n’est pas si simple, car on peut avoir des produits dont le savoir-faire est à 80% issu d’Asie.

Donc ce qui manque aujourd’hui, ce sont des réglementations pour connaître les provenances ?

Pour Paul Boyer, la volonté est là. Il manquait une prise de conscience qui est arrivée avec la crise du Covid. En effet, les marques ont réalisé qu’une trop grande partie de leurs achats était en Asie, et que ce n’était pas gérable. Il est important d’avoir une partie du sourcing en local, sur lequel on peut raconter une histoire.

La clé c’est donc le consommateur, qui “tractent” les produits (dixit Thomas Huriez). Alors est-ce le prix qui est à l’origine du problème ?

Rodolphe Meersschaert nous parle de la perte de connaissance du coût du produit par les consommateurs. “La nouvelle génération ne se rend pas compte du travail effectué sur les produits”.

“Pour gagner en compétitivité, il faudrait que toutes les marques jouent le jeu du produire en France pour ramener du volume et que les industries redeviennent compétitives.”

“Chez agnès B on marge à 3. On mentionne le made in sur les produits et on essaie d’éduquer le consommateur. Si on veut relocaliser en France, il faut être transparent sur les prix d’achat, sur les marges.”

Mais agnès b. a dû délocaliser certains produits pour avoir des marges compensées. Par exemple, le costume homme. Rodolphe Meersschaert raconte : “agnès b. travaillait avec un fournisseur français sur le costume, malheureusement l’entreprise a déposé le bilan l’année dernière et a été reprise par un groupe qui a augmenté de 40% le prix d’achat. Nous recherchons un nouveau partenaire avec qui nous pourrions maintenir une marge de 3 ou 3,5 sur du made in France. Nous participons au hackathon Made in France en ce sens. On donne les prix d’achats, les volumes qu’on veut placer et on regarde la faisabilité.”

La question : est-il toujours possible de faire un costume en France avec un prix d’achat inférieur à 100 euros ?

Rodolphe Meersschaert insiste sur une logique de mode responsable : “Chez agnès b., aucun produit n’est jeté ou détruit : les collections passent du magasin, aux soldes, aux outlets puis sont données en associations.”

Mais la vraie question est : qu’est-ce qu’une entreprise française, un produit français ?

Sur ce point, Yves Jego nous explique la législation du code douanier européen. Pour être made in France, un produit doit respecter deux critères : avoir au moins sa dernière ouvraison principale réalisée en France ET 45% de son prix de revient unitaire acquis en France.

“Mais ce n’est contrôlé par personne. A la marge ou de façon massive, il y a des fraudes.”

Auxquelles s’ajoute des fraudes marketing. On voit fleurir des bleu blanc rouge partout. Le “made in France washing”. Une grande partie de l’industrie française se fait donc piquer des capacités d’achats considérables !

Le combat pour la VRAIE traçabilité est essentiel !

Il faut que les critères de définitions de l’origine soient plus précis. C’est là qu’intervient Origine France Garantie. C’est une certification (et pas un label) : un process qui amène un organisme indépendant à attester de la réalité de quelque chose.

Les critères sont plus exigeants :

  • La totalité du process doit être fait en France : le produit doit avoir acquis ses caractéristiques principales en France
  • Au moins 50% du prix de revient unitaire doit être acquis en France

Origine France Garantie aujourd’hui c’est plus de 3 000 gammes de produits issues de 600 entreprises. Et c’est la seule certification d’origine globale (les autres sont sectorielles). Elle s’appose aussi bien en BtoB que BtoC.

Origine France Garantie, c’est donner de la traçabilité au consommateur et motiver les producteurs à être le plus vertueux possible.

Retrouvez l’intégralité de la conférence en podcast >
Article précédent Chapitre 2 : Le b.a.-ba des pratiques collaboratives : 1 + 1 = 3 Article suivant Chapitre 4 : A la reconquête des territoires