GLOBAL EVENTS FOR FASHION PROFESSIONALS​

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Le rôle de l’IA dans l’innovation des matières – Partie 1

Qu’est-ce que l’innovation ? Bien que cette question soit subjective et puisse recevoir pléthore de réponses dans l’industrie du textile et de la mode, un point objectif fait consensus : le potentiel indéniable lié à la diversification des matériaux. Les matériaux sont au cœur de l’industrie de la mode. Ils représentent 92 % des émissions totales de l’industrie par leur extraction, leur transformation et leur production1 et environ 30 % du coût des marchandises vendues (COGS)2. Par conséquent, parallèlement à l’impératif premier de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), de la consommation des ressources et de la pression sur la biodiversité—intrinsèquement lié à la libération de la dépendance aux combustibles fossiles—la transition vers une économie circulaire et la recherche et développement de matériaux dits « Next-Gen » font partie des nombreuses actions complémentaires visant à rendre le secteur de la mode moins impactant.

next-generation materials could represent 8% of the total fibre market by 2030
©Google DeepMind / Unsplash

Face au changement climatique, à la raréfaction des ressources, aux perturbations géopolitiques et aux futures réglementations, la transition des matériaux est plus cruciale que jamais. L’urgence d’une mise en œuvre efficace est à son paroxysme, sachant que la plupart de ces développements sont encore au stade pilote. Cependant, de nombreuses marques ne sont pas prêtes pour cette transition et auraient besoin d’accompagnement pour en favoriser l’adoption et l’implémentation, et débloquer ainsi pleinement les avantages de ces nouveaux matériaux.

En collaboration avec Boston Consulting Group (BCG), Fashion For Good a publié un nouveau rapport en février 2025, « Scaling Next-Gen Materials: an Executive Guide 3», s’appuyant sur les meilleures pratiques du secteur et les succès des premiers acteurs engagés. Ce rapport fournit aux marques un cadre structurant pour agir sur les leviers clés et propose une feuille de route stratégique pour relever les principaux défis tout en obtenant des résultats mesurables.

L’étude révèle que les marché de ces matériaux nouvelle génération pourraient représenter 8 % du marché total des fibres d’ici 2030, soit l’équivalent d’environ 12,5 millions de tonnes.

« Le défi réside dans le pont à construire entre innovation et accessibilité. L’industrialisation des matériaux de nouvelle génération nécessite une collaboration tout au long de la chaîne de valeur, des investissements dans les infrastructures et un engagement à repenser la conception et la production à tous les niveaux.[…] Ces fibres et matériaux innovants, offrant des bénéfices environnementaux et/ou sociaux supérieurs par rapport aux options conventionnelles, en sont encore aux premières étapes de leur commercialisation ou de leur développement. Ils nécessitent des avancées technologiques supplémentaires et une optimisation des coûts pour une adoption à grande échelle. Cette nouvelle génération de fibres et de matériaux représente une opportunité majeure pour relever les défis de durabilité et de circularité auxquels l’industrie est confrontée. L’ambition est de faire évoluer ces matériaux du statut de ‘nouvelle génération’ à celui de ‘préférés et existants’. »

– Fashion For Good, Scaling Next-Gen Materials: an Executive Guide

Des matières nouvelle génération

Dans ce premier volet d’une série de deux articles sur l’innovation des matières, nous nous concentrons sur les fibres de nouvelle génération qui remplacent les fibres chimiques (synthétiques et artificielles) conventionnelles. Nous examinons cette nouvelle génération de fibres qui ne dépendent pas de ressources vierges, mais utilisent plutôt des déchets alimentaires, agricoles ou textiles comme matières premières. On peut commencer par le Cupro, l’un des exemples les plus anciens, qui exploite les linters de coton—un sous-produit de l’industrie cotonnière—pour créer une fibre cellulosique artificielle commercialisée sous les noms « Cupro™ » ou « Bemberg™ ».

next-generation fibres that replace conventional man-made fibres
©Google DeepMind / Unsplash

Modélisation moléculaire et optimisation des matériaux pilotée par l’IA

L’intelligence artificielle (IA) pourrait jouer un rôle clé à plusieurs étapes du développement des matières, en particulier lors de la mise à l’échelle et de l’optimisation des processus.

Les algorithmes d’IA et d’apprentissage automatique peuvent analyser d’immenses bases de données de propriétés des matériaux afin de prédire quelles combinaisons de fibres offriront les meilleures performances. Ils peuvent aussi accélérer la découverte et l’optimisation de nouveaux biomatériaux en anticipant les interactions moléculaires et leurs propriétés. Par exemple, l’IA peut être utilisée pour modéliser des structures protéiques, simuler leur comportement dans des applications textiles et affiner les polymères biosourcés afin d’obtenir des caractéristiques de performance spécifiques, une meilleure durabilité ou des profils de dégradation optimisés.

generative AI models, trained on the "language of biology", to design novel enzymes
©Google DeepMind / Unsplash

Un exemple concret est Epoch Biodesign, qui propose une solution de fin de vie pour les déchets complexes de polyamide (nylon), qu’ils soient pré- ou post-consommation. Cela inclut aussi bien les vêtements de sport en mélange avec de l’élasthanne que les textiles techniques laminés haute performance. L’entreprise développe des blocs chimiques essentiels à la fabrication d’un nouveau polyamide recyclé en utilisant des modèles d’IA générative entraînés sur le « langage de la biologie ». Leur approche consiste à concevoir de nouvelles enzymes capables d’améliorer les processus de dépolymérisation. Pour cela, ils génèrent des milliers de « designs » enzymatiques à partir de leurs modèles d’IA protéique, leur synthèse en laboratoire et leur test en parallèle grâce à des techniques avancées permettant d’identifier les variantes les plus performantes. Les résultats sont ensuite réinjectés dans le modèle d’IA, qui ajuste ses prédictions pour la génération suivante, répétant lecycle jusqu’à l’obtention d’une enzyme présentant les propriétés et caractéristiques recherchées.

Une autre entreprise pionnière est LanzaTech, qui intègre l’IA dans son processus de production de monoéthylène glycol (MEG) à partir d’émissions de carbone. En utilisant la biologie synthétique et des outils d’intelligence artificielle, LanzaTech a découvert plusieurs nouvelles voies permettant de convertir directement les émissions de carbone en MEG par fermentation, éliminant ainsi le besoin d’un intermédiaire à base d’éthanol.
Cette innovation ouvre la voie à production de résine PET (polyéthylène téréphtalate), de fibres et de bouteilles à partir de carbone capturé, en alternative aux méthodes conventionelles basées sur les énergies fossiles non renouvelables.

« Aucun organisme naturel connu ne produit du MEG. Grâce à cette phase de validation de concept, LanzaTech a utilisé la biologie synthétique et des outils d’IA pour découvrir plusieurs nouvelles voies de conversion direct des émissions de carbone en MEG. En combinant et en testant divers ensembles d’enzymes issues de sources variées, LanzaTech a réussi à reprogrammer ses bactéries productrices d’éthanol afin de fixer et de redirigiez le carbone vers la production de MEG. »

LanzaTech

Optimisation des processus, réduction des déchets et prédiction de fin de vie

L’IA peut contribuer à la prédiction et à la détection des défauts des matériaux avant le lancement de la production à grande échelle. Dans le développement des fibres chimiques « next-gen » ( de nouvelle génération), les algorithmes d’apprentissage automatique analysent les données de production en temps réel afin d’assurer un contrôle qualité rigoureux et une constance dans les propriétés des matériaux, en identifiant d’éventuelles incohérences moléculaires susceptibles d’altérer celles-ci. L’IA peut également optimiser les paramètres de production afin de maximiser le rendement des matériaux tout en minimisant la consommation d’énergie et de ressources. Par exemple, on pourrait imaginer qu’une entreprise comme Orange Fibre utilise la modélisation assistée par IA pour affiner l’extraction de la cellulose à partir des écorces d’orange, réduisant ainsi les déchets tout en optimisant le rendement des fibres.

Process optimisation, waste reduction, and end-of-life predictions

Dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement et la prévision de la production, les modèles prédictifs permettent aux entreprises d’optimiser l’approvisionnement en matières premières de manière durable et d’anticiper avec précision leurs besoins de production. L’IA peut également être utilisée pour suivre le cycle de vie des matériaux et améliorer les modèles de circularité. Par exemple, elle peut simuler l’intégration de contenu recyclé dans de nouveaux matériaux ou modéliserles schémas  de biodégradation afin de garantir qu’un matériau se dégrade efficacement dans différentes conditions environnementales. De la même manière, les entreprises de recyclage pourraient tirer un grand bénéfice de ces technologies pour évaluer les risques tout au long la chaîne d’approvisionnement et logistique, vérifier les résultats et tester différentes stratégies avant leur mise en œuvre.


Ainsi, l’IA pourrait jouer un rôle clé dans la transition des matériaux biosourcés de la phase de R&D à la production industrielle, en perfectionnant leurs performances, en minimisant leur impact environnemental et en facilitant leur intégration dans les chaînes d’approvisionnement existantes. Alors que nous explorerons l’utilisation de l’IA dans le développement des matériaux biofabriqués plus précisément dans le prochain article, soulignons que :

« L’adoption stratégique des matériaux Next Gen pourrait entraîner une réduction d’environ 4 % du coût des marchandises vendues (COGS) sur cinq ans, comparé à l’inaction. Cela démontre l’importance de la transition vers ces matériaux pour les marques souhaitant préserver leur compétitivité. »

– Fashion For Good, Scaling Next-Gen Materials: an Executive Guide

Sources :
1 World Resources Institute and Apparel Impact Institute, Roadmap to Net Zero: Delivering Science-Based Targets in the Apparel Sector, 2021
2 BCG Analysis
3 https://www.fashionforgood.com/report/scaling-next-gen-materials-in-fashion-an-executive-guide/

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